Le vécu d’un pédiatre à Befelatanana : le témoignage du Dr Todisoa Andriatahina

 

Lors de son passage à Paris en décembre dernier, le Docteur Todisoa Andriatahina nous a fait part de son expérience en tant que pédiatre à l’hôpital Befelatanana. Nous avons pu ainsi l’interroger sur le fonctionnement, les grosses difficultés et les besoins du service de pédiatrie. Ceux-ci sont énormes, en effet, le personnel dispose de très peu de moyens pour mener les enfants vers la guérison. Leurs parents sont la plupart du temps issus des couches les plus démunies de la société et sont souvent dans l’incapacité de nourrir et d’acheter des médicaments et la nourriture de leur enfant. Cela provoque des situations catastrophiques où l’enfant décède parfois faute de nourriture et de soins adéquats.

Sonja Kellenberger : Peux-tu présenter ton parcours ?

Todisoa Andriatahina : J’ai fait huit années d’études de médecine généraliste, puis quatre années de spécialisation en pédiatrie dont une année à Bordeaux et à Périgueux dans le cadre d’une convention entre les facultés de médecine de Madagascar et de Bordeaux. J’ai passé deux années au Laos à l’Institut de la Francophonie et des Pathologies Tropicales de Vientiane. En 2007, j’ai passé le concours de chef de clinique en pédiatrie.

S. K. Quelle est la hiérarchie chez les médecins ?

T. A. Le plus gradé est le professeur qui est chef de service, puis viennent les chefs de clinique dont je fais partie, ensuite les pédiatres qui ont terminé leurs quatre années de spécialisation et enfin les internes qui sont en cours de formation, mais travaillent souvent comme pédiatres car ceux-ci ne sont pas assez nombreux.

S. K . Befelatanana, c’est ton premier poste ?

T. A. J’ai toujours exercé à Befelatanana, mais pas en tant que fonctionnaire. Je viens seulement d’être nommée fonctionnaire (il y a un mois). Mais, entre temps, j’ai exercé en tant que chef de clinique rattaché à la faculté. J’ai enseigné à la faculté et encadré les étudiants en médecine et je suis référente dans ma spécialité.

S. K. Où se trouve l’hôpital Befelatanana ?

L’hôpital de Befelatanana est l’un des centres hospitaliers universitaires et se trouve à Antananarivo, la capitale de Madagascar, dans le centre ville. Le service de pédiatrie générale comprend un petit service de néonatalogie, un service de réanimation et un service de nutrition pour les enfants malnutris.

S. K. Combien y a-t-il d’hôpitaux publics à Antananarivo ?

Les quatre hôpitaux d’Antananarivo sont :
• L’Hôpital Général de Befelatanana
• L’Hôpital Joseph Ravoahangy Andrianavalona
• Le Centre Hospitalier de Soavinandriana (Hôpital militaire) qui est semi-public
• La Maternité de Befelatanana

S. K. Pour quelle population ?

Pour environ 1 700 000 d’habitants à Antananarivo. En 2004, on comptait environ 30 pédiatres pour tout le pays qui compte environ 20 millions d’habitants. Une partie d’entre eux ont quitté le pays car ils n’y gagnaient pas suffisamment leur vie.
(Cela représente environ un pédiatre pour 200 000 enfants. 44,8% de la population malgache a moins de 14 ans. En comparaison, le ratio serait de 1 pour 10 000 en France. 25% de la population française a moins de 20 ans.)

S. K. Combien y a-t-il de médecins pour combien d’enfants hospitalisés dans le service de pédiatrie ?

T. A. Il y a en moyenne 80 enfants hospitalisés par jour pris en charge par le chef de service, un chef de clinique (ce sont les seuls pédiatres) et 10 médecins généralistes et d’autres médecins en cours de formation qui travaillent plus ou moins bénévolement en lien avec la faculté (environ une dizaine).

S. K. Quelles sont les pathologies les plus fréquentes ?

T. A. Ce sont surtout des maladies infectieuses qu’elles soient respiratoires ou neurologiques comme les méningites. Cela ne fait qu’un an que l’on a mis en place les vaccins gratuits contre la méningite. Avant cela, seuls ceux qui en avaient les moyens pouvaient être vaccinés. La particularité est que les enfants viennent souvent consulter quand ils ne peuvent respirer ou dans un état comateux. Les enfants viennent souvent de loin et arrivent à l’hôpital dans un état catastrophique ce qui donne un taux de mortalité très élevé.
On rencontre beaucoup de maladies parasitaires et des problèmes de malnutrition. Il y a au sein de l’hôpital un service de malnutrition qui est pris en charge par un organisme privé.
Il y a également un taux de mortalité très élevé en période néonatale lié au plateau technique déficient. Les enfants malnutris meurent très vite car ils sont immunodéprimés.

S. K. D’où viennent les enfants hospitalisés ?

T. A. La majorité d’entre d’eux vient d’Antananarivo et des environs. Mais il peut y avoir des enfants venant de provinces qui sont envoyés par des hôpitaux ou des dispensaires qui ne peuvent les prendre en charge parfois par évacuation sanitaire.

S. K. Y a-t-il d’autres hôpitaux en dehors d’Antananarivo ?

T. A. Il y a six provinces à Madagascar et il y a deux ou trois hôpitaux par province. Il n’y a des pédiatres que dans les chefs-lieux de province. C’est à Antananarivo que se trouvent les hôpitaux de référence et que l’on trouve le plus de pédiatres. Les autres provinces n’ont pas plus de deux pédiatres et certaines n’ont aucun pédiatre.

S. K. Comment se passe une journée dans le service de pédiatrie ?

T. A. On reçoit les enfants envoyés par leur médecin traitant ou par un autre système médical ou bien ils viennent spontanément. On juge de la nécessité de les hospitaliser ou pas. Il n’y pas de sécurité sociale. On envoie les parents acheter des médicaments dans une pharmacie si l’état de l’enfant est grave. Nous disposons d’un petit stock d’urgence pour les cas les plus graves. Les médecins du service recherchent en permanence des financements par exemple auprès d’associations pour pouvoir se procurer ces médicaments. On demande parfois aux parents de rembourser ces médicaments ce qui permet de renouveler le stock mais la plupart n’en ont pas les moyens. Nous n’avons pas de pharmacie dans le service de pédiatrie. Les parents se rendent à la pharmacie de l’hôpital où ils vont faire la queue, même si le cas de leur enfant est urgent. Parfois ils s’aperçoivent qu’ils n’ont pas assez d’argent pour payer les médicaments.
Les parents attendent souvent le dernier moment pour amener leur enfant à l’hôpital. Il leur arrive aussi d’aller voir des guérisseurs traditionnels, ou des médecins qui n’ont pas la bonne prise en charge et ils arrivent trop tard à l’hôpital. Les parents arrivent souvent sans un sou avec leur enfant mourant en espérant un miracle. Il m’arrive de voir jusqu’à cinq décès en vingt-quatre heures de garde. Par comparaison, en une année de stage à Bordeaux, je n’ai vu qu’un enfant décéder. Nous ne disposons pas de matériel de réanimation, pas de respirateur artificiel, nous n’avons qu’un masque et un ambu. Nous ne pouvons rien faire pour réanimer les enfants. Seuls les hôpitaux privés qui coûtent très cher disposent de ce matériel.

S. K. : Quel âge ont les enfants qui décèdent ?

Ce sont les plus jeunes et surtout les nouveau-nés qui décèdent. Ce n’est pas seulement un problème néo-natal, c’est aussi un problème de gynéco-obstétrique. Les mères ne suivent pas les CPN (consultations prénatales) régulières et ne font pas tous les examens prescrits car tous les bilans ne sont pas pris en charge. Cela a une conséquence directe sur le nouveau-né par la suite.

S. K. Vous êtes donc toujours dans l’urgence ?

T. A. Cela relève quasiment de la médecine de guerre. On est toujours en train de bricoler, on fait avec les moyens du bord. On nous envoie en stage en France, mais ce qu’on apprend en France ne nous sert pas forcément sur le terrain bien que le fait d’avoir eu une formation en France nous apporte un savoir-faire, une compétence et nous permette d’encadrer les jeunes médecins généralistes qui n’ont aucune formation en pédiatrie. En France, un CHU réunit des spécialistes et même au sein de la pédiatrie, il y a des spécialistes en néphrologie, en cardiologie, etc… A Madagascar, les pédiatres essaient de s’inspirer du système français et de se spécialiser pour être plus efficace. C’est pourquoi on nous envoie en stage dans les hôpitaux français. Pour ma part, je suis actuellement en stage au CHU de Lyon en néphrologie pédiatrique. Un autre de mes collègues est à Bordeaux pour un stage de gastrologie pédiatrique.

S. K. Combien d’enfants recevez-vous par jour ?

T. A. Le jour le plus chargé est le lundi. Nous avons environ 20 ou 30 passages par 24 heures pour un médecin et 2 infirmières et quelques étudiants en médecine. Par comparaison, à Lyon aux urgences, il y a 250 passages par 24 heures mais il y a 1 infirmière pour 4 malades. Chez nous il y a 1 infirmier pour 20 ou 30 malades. C’est peu surtout lorsqu’on reçoit des cas graves. Du coup, les infirmiers ne suivent pas forcément toutes les prescriptions des médecins. On s’efforce de « dresser » les infirmiers à suivre toutes les prescriptions.

S. K. Quelles sont les conditions de salaires pour les pédiatres ?

T. A. Certains jeunes pédiatres ont terminé leur cursus mais ne sont pas encore intégrés dans la fonction publique. Ils perçoivent un « pré-salaire » de 100 euros par mois. Les pédiatres titulaires ne sont guère payés plus sauf qu’ils bénéficient de quelques avantages en nature. Cela ne nous suffit pas pour vivre. Tous les pédiatres, bénévoles ou pas, quel que soit leur grade, doivent exercer ailleurs dans des cliniques ou des cabinets privés. Nous ne pouvons pas trop nous investir à l’hôpital car nous avons nos consultations privés qui nous permettent de vivre.

S. K. Les conditions d’hospitalisation sont-elles meilleures dans les cliniques privées ?

T. A. Les patients qui ont de l’argent s’adressent plutôt aux cliniques privées. L’hôtellerie y est de meilleure qualité, il y a la télé, etc…Mais il n’y a pas de pédiatre sur place 24h sur 24 comme c’est le cas dans les établissements publics. Les pédiatres ne font qu’y passer pour des visites, ensuite ils sont joignables sur leur portable. Ils sont payés par cas. Ce n’est guère plus avantageux financièrement pour les médecins. Les cliniques ne s’en sortent pas forcément mieux que les hôpitaux. Il est parfois conseillé aux parents d’hospitaliser leur enfant dans les hôpitaux publics. Certains hôpitaux publics ont des chambres payantes qui sont bien équipées. Les nôtres à Befelatanana ne sont plus utilisables.

S. K. Quels sont les problèmes au niveau du matériel et des infrastructures ?

T. A. Il y a de nombreux cas d’infections nosocomiales liés à un gros problème au niveau des sanitaires. J’ai fait une recherche sur les infections nosocomiales dans notre service. Nous avons fait un prélèvement rectal sur tous les enfants lors de l’admission à l’hôpital. Nous avons recherché des germes spécifiques résistants. Le taux de portage à l’admission était de 28% et à la sortie il avait doublé. Et ce sont des germes qui se transmettent par les mains ! Cela signifie qu’on ne fait pas grand-chose pour lutter contre les infections nosocomiales et la transmission de ces germes. Nous avons également fait des prélèvements sur les paillasses, les pèse-bébés et sur les tables d’examen. Et nous y avons trouvé plein de germes partout ! Les médecins ne se lavent pas les mains entre chaque patient. Les patients ne disposent pas de toilettes fonctionnelles dans le service. Il y a des toilettes payantes en dehors du service ouvertes de 8h à 16h. Mais si les gens n’ont pas les moyens d’acheter des médicaments, ils ne vont pas dépenser le peu d’argent dont ils disposent pour aller aux toilettes ! Ils font leurs besoins dans le jardin de l’hôpital ou apportent des pots de chambre qu’ils vident le matin dès l’ouverture des toilettes payantes. Cela fait des années que l’on demande à ce que nos toilettes soient réparées.
Les patients ne disposent pas non plus de point d’eau pour se laver les mains. Et les médecins doivent se procurer eux-mêmes les solutions hydro-alcooliques pour se désinfecter les mains, de même qu’ils achètent eux-mêmes leurs gants et leurs masques. Il arrive cependant qu’on en reçoive grâce à des dons ponctuels. Dans ce cas on essaie de gérer au mieux les stocks.

S. K. Quelle est l’urgence pour améliorer les conditions du service ?

T. A. Il faudrait surtout assurer le stock de médicaments d’urgence.
Et puis, 60% des enfants hospitalisés viennent de familles démunies. Leurs parents n’ont pas assez d’argent pour payer la nourriture. Ce sont les membres du personnel de l’hôpital qui trouvent les moyens pour payer les repas soit grâce à des dons d’associations ou de particulier, soit en y allant de leurs propres poches. Les repas sont préparés par les femmes de ménage. On essaie de donner un repas par jour à chaque enfant : une soupe composée de riz, de carottes et d’un peu de viande.
Il faudrait aussi construire un point d’eau dans chaque chambre pour que les patients et le personnel médical puisse se laver les mains, et réparer tous les sanitaires.
On manque également de produits d’entretien, d’eau de Javel, de serpillères…Le ménage ne peut être fait qu’une fois par jour dans le service.

S. K. D’après les photos que nous avons reçues le service donne l’impression d’être en bon état.

T. A. Sur les photos le service donne l’impression d’être propre, mais quand on est sur place on voit que le carrelage est sale et en très mauvais état par manque de produits de nettoyage. On croirait qu’il a été lavé avec de l’eau sale !
Seul le service de néonatalogie a été rénové grâce à un financement.
Dans les chambres, les lits sont neufs et ont été donnés par la belle-fille de l’ancien président Ravalomanana mais il n’y a pas de drap sur les lits, chaque patient apporte ses propres draps, s’il en a.
Le bâtiment vu de l’extérieur est beau mais il y de gros rats qui se promènent à l’intérieur et les gens font leurs besoins dans le jardin. Les toilettes devraient être financées par l’administration de l’hôpital mais ceux-ci refusent de le faire en disant que cela coûte trop cher et que cela prendrait tout le budget de l’hôpital. Ils ont déjà des difficultés énormes à payer la moindre seringue ! Certains hôpitaux sont dans une meilleure situation grâce à leurs sponsors et aux associations qui les aident. Chaque hôpital essaie de trouver ses propres moyens de financement.
On nous a aidé pour décorer la salle d’attente. Le service a reçu des subventions de Japonais et de Français pour repeindre une partie des murs. Les fresques ont été peintes par les parents avec l’aide d’étudiants français en orthophonie.
Dans une des chambres il y a des fuites d’eau, les chambres du haut qui sont payantes ne sont plus fonctionnelles et sont laissées à l’abandon. Soit l’électricité ou l’eau ne fonctionne pas, soit les vitres ou les robinets sont cassés.
L’aire de jeu dans le jardin a été financée par une association.
Au niveau des consultations, les tables d’examen sont nettoyées avec le propre linge du patient sans produit désinfectant.
Les pèse-bébés sont rouillés et ne fonctionnent plus très bien.
La salle de néonatalogie vient d’être dotée d’un matériel tout neuf. Mais les enfants qui y sont admis sont triés sur le volet. Seuls ceux qui ont les moyens de payer des couches jetables y sont admis. Les autres restent avec leur mère dans une salle pour nouveau-nés et les plus résistants survivent.
La cuisine est une petite pièce où les repas des enfants sont préparés et où le personnel mange.

Tels sont les points essentiels que nous souhaitions porter à la connaissance de nos membres et sympathisants.

Interview réalisé le 21 décembre 2009

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